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"Gen Z : Newbies In Paris" - La génération Z et le Rugby Français

Introduction

La société évolue, de nouvelles générations inondent le marché du travail et nous obligent à une révolution managériale. Ceux que l’on appelle trivialement la génération Z, bousculent les codes établis et nous amènent tous à repenser notre vision de l’entreprise, de son fonctionnement et de ses relations.

Le rugby est plus que touché par cette métamorphose comportementale, et le grand écart entre les générations se fait sentir en mondovision quand nous n’avons pas l’humilité de reconnaitre que nous sommes inaptes au changement et à l’accueil d’idées nouvelles. La génération Z est née dans la seconde moitié des années 90, elle ne connait le rugby qu’à travers le professionnalisme. Même l’exploit de 99 est à leurs yeux l’équivalent de ce qu’est la première guerre mondiale pour les électeurs ayant voté pour leur première présidentielle l’an dernier, un moment d’histoire rien de plus.

L’ovalie a quelque chose de poétique et de brutal qui voudrait que, dans l’imaginaire collectif, elle puisse être épargnée par les changements sociétaux. A l’heure du rugby des clubs où le professionnalisme est roi, le pragmatisme doit amener à considérer le rugby comme une entreprise comme une autre.

En effet pour que nous continuions à rêver à une exception culturelle que chaque amoureux du ballon ovale fantasme, ce sport doit se remettre dans le sens de la marche et il ne le fera pas en nageant à contrecourant.

Avide d’agilité et allergique à l’inertie - Exècre l’autorité verticale et les organisations pyramidales

La lettre Z sied donc à merveille à la révolution managériale que provoque l’arrivée de cette génération sur le marché et dans les clubs : l’horiZontalité. Passer à l’horizontale n’est pas aussi agréable que vos esprits lubriques peuvent le penser, mais c’est primordial pour avancer dans le management du futur Rugby Français.

Passer à un management horizontal pour le rugby c’est au-delà de tout ce que l’on peut imaginer comme changement dans nos entreprises respectives, c’est changer l’esprit même de ce qu’est le rugby. Le rugby c’est le symbole de la verticalité, de la hiérarchie, du respect strict des règles établies, des références historiques, des gourous gueulards fanatiques de l’organisation pyramidale etc…

Le problème du Rugby Français et surtout du XV de France, c’est que l’organisation fait face en refusant le changement, persuadée que ce qui fonctionnait il y a 10 ans, 20 ans continue d’être la norme de la réussite. De nombreux clubs et sélections étrangères ont muté depuis quelques temps et ont mis en adéquation les sacro-saintes valeurs du rugby, au service d’une nouvelle organisation.

“Le manager doit se positionner comme un expert, notamment auprès des jeunes, et les laisser réfléchir ensemble au projet sur lequel ils travaillent, plutôt que de décider à leur place.”

Dans cette révolution organisationnelle les strates hiérarchiques sont inefficaces et contreproductives, dans les entreprises beaucoup de postes de « responsables » ont été supprimés, non pas pour « supprimer » les hommes, mais parce que la Génération Y/Z va directement à la source de l’information et fait fi des intermédiaires. Dans les entreprises ayant réalisées ces changements, il n’y a plus de frontière entre les salariés la direction. Ces générations s’organisent en petites cellules efficientes, une petite communauté efficace d’où émerge un leader naturel, celui qui sera de façon souvent impalpable, le référent de sa cellule. La génération Y/Z n’accepte pas un leader ou un supérieur pour le grade qui lui fut donné jadis, pour son ancienneté ou sa gloire passée, elle accepte et suit le leader qui prouve son expertise technique et montre la voie aujourd’hui.

L’organisation rigide, l’inertie fédérale, la multiplication des référents sont la kryptonite de ces jeunes. Est-ce que Guy Novès (et Jacques Brunel) pouvait avoir le respect de cette génération d’avenir avec cette organisation :

  • Un président n’hésitant pas à intervenir dans le sportif et les vestiaires auprès des joueurs (cf Afrique du Sud) en décrédibilisant le staff

  • Un manager des équipes de France, le docteur omnipotent, dans une série bien connue il serait considéré comme « la main du roi », lui aussi intervenant auprès des joueurs

  • Un sélectionneur

  • Des entraineurs adjoints

  • Un capitaine issu d’une autre génération, plus leader par l’exemple (ce qu’il fait très bien) que charismatique ou fin analyste

On parle du management d’un groupe de 30 joueurs dont on souhaiterait ardemment qu’il se renouvelle, où il y aurait 5 strates connues dans l’encadrement, c’est incompréhensible pour tous, c’est invivable pour cette génération. Et il en plus très probable, qu’aucune personne présente dans ces strates ne soit réellement considérée comme leader pour eux.

On parle donc d’un groupe de jeunes qui a besoin que leurs leaders soient des experts, qu’ils soient reconnus et incontestés pour les compétences qu’ils montrent à l’instant « t » et non pas sur ce qu’ils ont montré hier. Des leaders qui pourront impliquer cette jeune génération dans les processus de décision comme l’élaboration d’un plan de jeu ou la mise en place d’une stratégie. Comment voulez-vous que malgré toute l’aura qu’ils aient pu avoir grâce à leurs passés glorieux, ces managers que l’on met sous tutelle, aient une quelconque crédibilité auprès des jeunes, impossible.

Le respect n’est pas une reconnaissance de compétence managériale : il y a une nuance importante à prendre en compte, c’est que pour Novès, comme pour Brunel, ces jeunes-là ont un immense respect de ce qu’ils ont pu réaliser, pour ce qu’ils sont, une reconnaissance des victoires passées. Mais ils ne considèrent pas les personnes compétentes pour ce qu’elles ont fait, en effet si lors des derniers rassemblements le groupe a considéré comme « déconnant » les stratégies mises en place, les plans de jeu établis, les sanctions sur certains joueurs, les mises sous pression, les discours autoritaires etc… ils ont Zappé. Hier ne les intéresse pas et c’est leur force, d’avoir l’énergie perpétuelle de se motiver pour ce qui leur est proposé.

En entreprise, cette génération n’est pas une génération de branleurs, mais c’est une génération qui ne fonctionne qu’au défi. Combien de démissions, abandons de poste ont eu lieu parce que les défis proposés ne leurs convenaient plus, parce que la hiérarchie d’un autre temps bridait ces jeunes qui avaient juste envie de suivre un leader naturel qui n’est pas celui qu’on leur impose ?

La génération de la prise d’initiative - Un gout très prononcé pour les responsabilités

Cette génération est née dans la liberté et l’autonomie totale, elle déteste la hiérarchie. Contrairement à ce que vous pensez et aux remarques lues et entendues çà et là au détour d’un gazouillis ou d’un apéritif anisé, non ce n’est pas une génération :

  • « De branleurs qui se foutent de tout »

  • « De jeunes cons à qui l’on ne peut plus rien dire »

  • « De merdeux qui contestent l’autorité et ne respectent pas les règles »

Cette génération est certainement la plus motivée et la plus motivante depuis très longtemps, la première chose à faire, c’est de NE PAS LES CANALISER.

Alors ce n’est pas simple mais en ne supportant pas l’autorité et la hiérarchie vous me direz qu’ils sont ingérables, non cette génération fonctionne à l’objectif et au plaisir ! Si on leur impose une stratégie dans laquelle ils n’ont pas leur mot à dire, pour laquelle ils n’ont pas été consulté et qui ne convient pas à leur communauté, vous ne les ferez pas avancer sous couvert d’une autorité hiérarchique prétendue ou pour des valeurs que vous considèreriez comme primordiales.

Sens aigue de la communauté

L’individualisme, malgré la réputation qui la précède, n’est pas l’apanage de cette génération. Le sens de la communauté et du bien être de cette dernière importe énormément, plus que celui de sa propre personne, encore faut-il qu’une communauté existe.

En entreprise cela se reflète par une volonté de faire des recrutements locaux pour enrichir la communauté dans laquelle ils évoluent et améliorer le niveau de vie local. Cela a beaucoup plus d’impact que du soutien à des associations ou des missions caritatives par exemple.

En Rugby cela se traduit par la volonté de mise en place de règles de vie et de travail définit par la communauté qui émanent du groupe et le régissent. Tout cela est plus qu’essentiel pour que le groupe avance sereinement, et mène à bien les taches qui lui sont dévolues. Sans ce prérequis primordial il sera très compliqué de faire avancer des jeunes. D’ailleurs deux évènements ont cristallisé l’agacement de cette génération, et pas forcément qu’en off :

  • La visite à Mayotte et à La Réunion à l’issue d’une saison éreintante que l’on impose aux joueurs juste avant une tournée sous pression en Afrique du Sud. Beaucoup de joueurs ont émis des complaintes sur la fatigue engendrée par ces voyages promis par la FFR et pour la promotion de FFR (on ne parlera pas des conflits d’intérêts avec les chaines locales). Complaintes qui furent accentuées par l’intervention conjointe du président puis du vice-président de FFR dans la gestion sportive du groupe France pour réclamer auprès des joueurs des victoires, des attitudes irréprochables et fustigeant voire décrédibilisant le staff : « Il y a des choix qu’ils font que moi je n’aurais pas faits. Je veux qu’on en discute » (BL)

  • Le test en semaine face aux All Blacks, coincé entre deux tests que la FFR a exigé publiquement de gagner. En plus de la perturbation évidente dans la préparation sportive des « vrais » tests : appel des nombreux nouveaux joueurs, déplacement du staff à Lyon, mise au repos des cadres etc… Il est évident et assumé que ce match n’a un intérêt uniquement que financier et donc que les joueurs ne sont que l’objet marketing d’une volonté marketing et économique.

Avec ces deux exemples, il est impossible d’obtenir un engagement de la communauté issue de la génération Y/Z (les jeunes du groupe France), faire passer des besoins de l’establishment Fédéral avant celui du XV de France tout en mettant la pression du résultat sportif est inepte et inacceptable pour cette génération. Si un bon discours basé sur les « 3 C » et l’amour du maillot aurait pu remotiver et remobiliser les générations précédentes, les règles ont changé et les actes comptent plus que les paroles aujourd’hui.

L’échec du manager

Il est entendu que la Fédération a absolument fait tout ce qu’il fallait à partir de début 2017 pour que Novès ne puissent réussir l’intégration de cette génération.

Néanmoins cela ne veut pas dire qu’il aurait réussi et de nombreux signaux nous ont montré qu’il n’était certainement pas l’homme de cette mission. Avec l’obtention de la Coupe du Monde 2023 l’objectif du futur a été très clairement établi, construire une équipe pour gagner cette compétition à domicile. Il me semble que Guy Novès a compris les enjeux nécessaires à la réalisation de cet objectif, qu’il a eu le courage de faire les choix de joueurs, quitte a bouleversé le groupe pour servir l’objectif, mais qu’il n’avait pas la méthode.

Novès c’est le manager parfait de la génération précédente, un charisme fou, un palmarès incroyable et des vrais principes de beau jeu (principale différence avec Bernard Laporte). Mais depuis 2012 il avait pris du recul au Stade Toulousain, sa méthode ne passant plus, ou moins bien, et il y a fort à parier que ses plans de jeu et de management ne sont pas en adéquation avec les attentes des jeunes de cette génération. Néanmoins au Stade, sur la lancée des derniers titres, avec l’héritage de certains anciens toujours dans le vestiaire tout cela s’est moins ressenti. De même les joueurs revenant d’une équipe de France moribonde et apathique, ne trouvait rien à redire quant au management ou aux méthodes d’entrainement tellement l’archaïsme dans lequel était plongé Marcoussis terrifiait tout le monde.

Mais à la tête de l’équipe de France c’est différent, la convocation de jeunes venus d’horizons et de clubs différents c’est l’ouverture la boite de pandore du management participatif. Les Iturria, Belleau, Dupont, Penaud, Cancoriet, Macalou, Gabrillagues, Lambey, Lacroix, Chat etc… sont tous issus de la génération décrite. Guy Novès avait ciblé l’enjeux en faisant appel à énormément de jeunes mais il n’a pas su mettre en place l’écosystème favorable à l’épanouissement des joueurs cités.

Les retours sortis dans la presse sur Damian Penaud, Sekou Macalou, Anthony Belleau, Gabriel Lacroix confirment tout cela, on a essayé d’expliquer que des jeunes qui s’épanouissaient en club (Belleau, Lacroix et Penaud notamment) devenaient des petits cons ingérables dès qu’ils arrivaient en EDF.

L’hypothèse la plus probable expliquant l’attitude de ces jeunes (et des autres) est celle-là : Guy Novès, Bernard Laporte, Serge Simon sont venus durant les deux dernières tournées, expliquer à ces jeunes que le XV de France était dans la torpeur et dans la médiocrité depuis trop longtemps, qu’il fallait que les jeunes prennent le pouvoir et redressent la barre, qu’on avait besoin d’eux et qu’ils avaient le talent nécessaire pour nous rendre fiers ! Il vous semble juste ce discours ? Il l’est (de toute les sources internes que nous avons).

En revanche quand on fait ce discours là à la génération Z derrière il faut leur « laisser les clés », leurs donner l’occasion d’évaluer le staff (et oui le feed-back dans les deux sens), la Fédération, de les laisser s’exprimer sur ce qu’ils jugent inopérant dans le jeu, les entrainements, les règles de vie etc… Ils n’ont pas les chevilles qui enflent et ne pensent pas tout savoir, mais ils savent qu’ils viennent d’organisations où ils ont appris des pratiques, mis en place des règles et des processus qui fonctionnent, et que en regroupant les bonnes idées que chacun apporte de son club, ce melting pot d’idées nouvelles ne peut être que bénéfique. Et le manager dans tout ça, son rôle c’est d’encourager la créativité des ces garçons, de les faire communiquer et d’être capable de prendre le meilleur de chaque idée, de chaque joueur pour en faire une partition harmonieuse. D’être capable d’identifier les leaders et de les impliquer, de les responsabiliser, et pas de nommer sur des bases arbitraires d’un autre temps.

Hors Guy Novès a fait ce qu’il sait faire, ce qui a fait son succès et ce qu’il fait mieux que personne, et en période de crise tout le monde se serait recentré sur ses certitudes comme il l’a fait. Il s’est mis en mode commando, un plan de jeu clair, les talents sur le pré, et un management sentimentalo-directif pas en adéquation avec ce que nous avons pu voir précédemment, et les jeunes se sont sentis floués, et ont certainement lâché ce staff qui n’avait sans doute pas les compétences (ou pas le temps pour les appréhender) pour basculer vers une nouvelle méthode managériale !

Jacques Brunel a visiblement aussi compris les choses, il ne se sent peut-être pas capable de gérer cette transition, mais s’est fixé comme objectif « le match suivant ». Et c’est une qualité d’être conscient de ses lacunes, c’est ce qui l’amène à obtenir une victoire face l’Angleterre avec une équipe de plus de 28 ans de moyenne d’âge. Avec la génération 86-90, celle que l’on appelle trivialement la génération des bourrins dans le rugby, avec des principes de stabilité qui poussent à mettre Fickou à l’aile (poste auquel je ne l’ai jamais vu débuter) plutôt que de rappeler Teddy Thomas, meilleur joueur de ce début de tournoi, soi-disant blessé mais auteur d’un doublé le même jour que Galles-France !

Advienne que pourra, le talent est là, beaucoup ont déjà eu leur chance en bleu, les U20 ont montré de belles choses, quoi que l’on puisse en dire je ne suis pas inquiet pour le réservoir du XV de France. Mais il m’apparait impossible d’envisager sereinement l’avenir avec l’organisation actuelle. Cette génération à besoin d’une agilité à toute épreuve or les équipes de Bernard Laporte cloisonnent tout, dirigent tout, s’immiscent partout. Le salut passera par le choix d’un manager « révolutionnaire » qui devra avoir tous les pouvoirs et les mains libres, dont les compétences avec cette jeune génération seront prouvées. Ne nous trompons pas ce n’est pas un Eddie Jones, un Clive Woodward, un Steve Hansen qu’il nous faut, c’est un Joe Schmidt, un Stuart Lancaster, peut être ce profil existe-t-il en France je ne le sais pas, mais je doute que Bernard Laporte ait la même opinion que moi. Mais ce n’est pas parce que je suis en désaccord avec lui que j’ai forcément raison … et inversement.

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